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PAROLES DE DÉFENSE

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Radicalisation en milieu carcéral et renseignement pénitentiaire

Qualifiée « d'incubateur du djihadisme » par certains chercheurs, la prison est très fréquemment pointée du doigt comme étant un élément déterminant du processus de radicalisation. Cette conviction est notamment partagée par Farhad Khosrokhavar, sociologue et directeur d'études à l'EHESS. Si le phénomène de la radicalisation en prison est bien réel et a pris de l’ampleur en quelques années, surpopulation carcérale aidant, la réponse à apporter à ce défi aux enjeux sécuritaires majeurs est pour le moins complexe.

La prison : terreau fertile pour la radicalisation

Généralement, les djihadistes invétérés avant leur entrée en prison ressortent de leur séjour en détention renforcés dans leurs convictions. Ces années d'incarcération sont pour eux une épreuve positive et constituent une partie intégrante de leur parcours initiatique de djihadistes. Les auteurs d'attentats terroristes ont ainsi en grande majorité effectué un séjour en prison avant de passer à l'acte et la plupart des grands idéologues internationaux de la mouvance djihadiste sont passés par la détention. En outre, nombreux sont les détenus de droit commun qui se radicalisent en prison, celle-ci étant un espace où les djihadistes incarcérés peuvent librement exprimer leur discours prosélyte auprès de ces détenus de droit commun avec lesquels les contacts peuvent être quotidiens, et dont certains présentent des prédispositions individuelles à la radicalisation.


Terreau fertile pour la radicalisation, la prison est également un lieu propice à la préparation opérationnelle d'attentats terroristes, en raison de la fréquence des interactions entre détenus. Ainsi, « en octobre 2017, deux détenus étaient suspectés de préparer un attentat islamiste depuis leur cellule de détention, à Fresnes » révèle le JDD, dans un article publié le 16 janvier 2018.

Actuellement, plus de 510 personnes sont incarcérées en France après avoir été condamnées pour terrorisme, et 1200 condamnés de droit commun se sont radicalisés en prison. D'après les chiffres du Ministère de la Justice, 30 djihadistes condamnés dans le cadre des filières syro-irakiennes auront purgé leur peine et seront libérables en 2019, chiffre auquel il convient d'ajouter 450 détenus de droit commun radicalisés.

Au vu de ces chiffres alarmants, les enjeux de prévention et de lutte contre la radicalisation en prison sont de taille, les détenus radicalisés constituant un « risque majeur », selon les termes de l'ancien Procureur de la République François Molins. Dans cette optique, divers dispositifs expérimentaux ont été mis en place pour permettre une prise en charge efficace des détenus radicalisés. Le renforcement du renseignement pénitentiaire, de même que l'intervention des Services Pénitentiaires d'Insertion et de Probation (SPIP) dans la préparation de la sortie de prison et l'accompagnement de détenus radicalisés, sont autant de moyens mis en œuvre pour aider à la détection précoce des signes de radicalisation, évaluer la dangerosité d'un détenu et faciliter sa réinsertion.


A ce titre, en janvier 2015, cinq unités de prévention de la radicalisation (UPRA), composées de surveillants, de conseillers d’insertion et de probation, de psychologues et d'éducateurs avaient été créées au sein de prisons françaises de Fleury-Mérogis, Osny, LilleAnnœullin, et Fresnes, où les détenus radicalisés étaient pris en charge individuellement après évaluation, selon des modalités adaptées aux différents profils. Abandonné en octobre 2016, ce dispositif a été remplacé par six quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), quatre en Ile-deFrance, et deux dans les régions de Bordeaux et de Marseille, destinés prioritairement aux détenus poursuivis ou condamnés pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste. Les personnes incarcérées y sont évaluées pendant quatre mois, puis orientées vers un programme particulier.


Les détenus les plus prosélytes et violents sont placés dans des « quartiers pour détenus violents » (QDV), près de 300 places étant ainsi dédiées à ces profils les plus sensibles. Pour ceux présentant un danger moindre, un dispositif spécifique a été créé dans vingt-sept établissements. Le choix d'une prise en charge individualisée est donc privilégié, dans une perspective d'optimisation des moyens à disposition et d'encadrement maximal des détenus les plus radicaux.

Le renseignement pénitentiaire : dispositif central de la lutte contre la radicalisation en prison

Pierre angulaire de la lutte contre la radicalisation et la constitution de nouveaux réseaux terroristes en milieu carcéral, le renseignement pénitentiaire a connu des évolutions notables et une montée en puissance ces dernières années, en parallèle d'une menace terroriste en détention en pleine expansion, bien que le Ministère de la Justice, ne communique pas sur le nombre d'attentats déjoués ou fomentés en prison.

Le 25 octobre 2016, un plan d'action pour la sécurité pénitentiaire et de lutte contre la radicalisation a été présenté par le Ministère de la Justice, lequel a créé au sein de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) une Sous Direction de la Sécurité Pénitentiaire (SDSP). C'est au sein de cette structure que s'intègre le Bureau Central du Renseignement Pénitentiaire (BCRP), colonne vertébrale du renseignement pénitentiaire inauguré le 21 avril 2017 pour répondre à l'explosion de la menace terroriste en milieu carcéral. Bien que le BCPR soit particulièrement sollicité dans la lutte contre la radicalisation, la structure est également chargée de surveiller la criminalité organisée et de veiller à la sécurité pénitentiaire.

Structure fragile et balbutiante à sa création, au personnel insuffisant et aux moyens juridiques et techniques limités, le BCRP a connu une ascension fulgurante ces derniers mois. Détentrice d'une habilitation « secret défense » au même titre que la DGSI et la DGSE, la structure a intensifié et diversifié ses recrutements : quarante personnes (analystes-veilleurs, investigateurs numériques, spécialistes informatiques, traducteurs etc) travaillent au niveau central et le BCRP dispose d'un réseau de près de trois cent personnels répartis dans neufs cellules interrégionales de renseignement pénitentiaire (CIRP). Ces « délégués locaux au renseignement pénitentiaire » sont des hommes et des femmes de tous âges, avec déjà une bonne expérience du milieu carcéral. Au surplus, soixante dix embauches sont prévues d’ici à 2020, les profils recherchés étant surtout des officiers pour les établissements, des traducteurs et des analystes.

Le renseignement pénitentiaire dispose de capacités de surveillance élargies depuis les lois du 3 juin 2016 et du 30 octobre 2017. Il peut en effet intercepter des communications, recueillir des données de connexion, procéder à des écoutes téléphoniques, sonoriser les cellules, capter des conversations téléphoniques par le recours à un IMSI catcher, utiliser des procédés de géolocalisation ou encore suivre l'activité des détenus sur les réseaux sociaux. Cependant, le recours aux sources humaines est privilégié. Les multiples informations recueillies par les agents du renseignement pénitentiaire sont communiquées à la cellule interrégionale de renseignement pénitentiaire (CIRP) et une « fiche type individuelle » est transmise au BCRP dès lors qu'une situation présente un risque, aussi infime soit-il. Ces informations sont également transmises à de nombreux acteurs extérieurs : les préfets, les services du ministère de l’Intérieur, les états-majors de sécurité, mais aussi les autorités judiciaires.

S'il souffre encore de nombreuses faiblesses, comme l’illustre l'agression de trois surveillants au centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) par un détenu radicalisé en janvier 2018, le renseignement pénitentiaire peut toutefois être considéré comme un pivot dans la lutte contre le terrorisme, en tant qu'il est un outil fondamental dans la détection de la radicalisation et de la préparation d'attentats en milieu carcéral. A ce titre, le BCRP a permis d'appréhender, en collaboration avec la DGSI, deux détenus du centre pénitentiaire de Fresnes en 2017, a dévoilé la Ministre de la Justice. Ceux-ci ont été mis en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.

Au-delà de son rôle dans la détection de la radicalisation, ce renseignement aiguille l'administration pénitentiaire dans le choix du programme le plus adapté pour chaque détenu radicalisé et intervient dans la préparation de leur sortie de prison, en remettant systématiquement une note au service compétent (renseignement territorial ou DGSI).

Au vu des enjeux sécuritaires majeurs posés par la croissance exponentielle de la menace terroriste en milieu carcéral et de la nécessité d'une meilleure efficacité opérationnelle du renseignement pénitentiaire qui en découle, la Ministre de la Justice a pris la décision d'opérer un changement de statut du BCRP. La mutation du bureau central en véritable service à compétence nationale devrait avoir lieu d'ici à la fin du premier trimestre de 2019. Le futur service national de renseignement pénitentiaire sera ainsi rattaché directement au directeur de l’administration pénitentiaire, Stéphane Bredin, « une façon de l’extraire de la lourde chaîne hiérarchique en place dans cette administration de 40 000 agents, tout en cloisonnant plus efficacement la remontée d’informations » affirment Elise Vincent et Jean-Baptiste Jacquin, journalistes au Monde.

Un dispositif controversé

Salué par de nombreux observateurs, le renseignement pénitentiaire, et tout particulièrement le renforcement de ses prérogatives, n'est pas à l'abri des critiques. L'Observatoire international des prisons, un de ses principaux détracteurs, accuse l'administration pénitentiaire, au nom de la lutte antiterroriste, « de se rapprocher dangereusement du ministère de l’Intérieur au détriment de sa mission de réinsertion » et dénonce sa « tentation sécuritaire ». Ses compétences élargies en matière de surveillance seraient disproportionnées et constitueraient une atteinte aux droits de l'Homme.

A ces travers, s'ajoute le risque de détérioration du lien de confiance entre le détenu et les personnels pénitentiaires, par l'implication renforcée de ces derniers dans le recueil d'informations depuis la loi du 25 octobre 2016. « Les personnels pénitentiaires, quelles que soient leurs fonctions, risquent d’être perçus comme des espions potentiels, ce qui empêchera le minimum de confiance requis pour assurer un quotidien un tant soit peu apaisé en détention » s’inquiète la Commission nationale consultative des Droits de l'Homme (CNCDH).


À titre d'exemple le conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation (CPIP) est chargé depuis la loi de 2016 d'obtenir auprès de la personne incarcérée diverses informations sur sa personnalité (éventuels traumatismes subis durant l'enfance, attrait ou non pour la violence etc). Il endosse par là d'une certaine manière les fonctions d'agent de renseignement. Cette double casquette imposée tend à fragiliser la relation privilégiée qu'il se doit d'entretenir avec le détenu. Or, rappelle Marie Crétenot, juriste à la section française de l'Observatoire international des prisons, « la rupture de la relation de confiance avec le détenu peut être très néfaste en termes d'accompagnement et de prévention de la récidive. »

512 détenus libérables d'ici fin 2019

« Aucun pays démocratique ne dispose d’un service de renseignement pénitentiaire » proclamait à l’Assemblée nationale, en juin 2016, Christiane Taubira, alors Garde des Sceaux. Cette déclaration semble appartenir à un autre temps, tant le renseignement pénitentiaire a vu ses compétences renforcées et ses moyens élargis. Mais malgré les multiples efforts déployés pour perfectionner ce dernier-né des services de renseignement, des dysfonctionnements persistent. En effet, ainsi que le relève le rapport du 4 juillet 2018, établi au nom de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens des services de l’État pour faire face à l’évolution de la menace terroriste après la chute de l’État islamique, toutes les techniques de renseignement mises à la disposition du BCRP ne sont pas exploitées par le service.


A titre d'exemple, « au sein des QER d'Osny et de Fleury-Mérogis, aucune technique de sonorisation des cellules n'a été déployée » note le rapport. Parce qu'il permet d’éviter une rupture dans le suivi des détenus et qu'il facilite l'anticipation de chaque libération par le partage d'éléments utiles aux services compétents, le renseignement pénitentiaire fait partie intégrante de la politique mise en place par le Ministère de l'Intérieur dans le cadre du suivi des sortants de prison condamnés pour terrorisme ou repérés pour radicalisation. En effet, rappelons-le, d'ici à la fin 2019, 10% des 512 détenus terroristes islamistes seront libérables en raison de leur arrivée en fin de peine.

Elsa Draï

Sources :

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