Nous revenons dans une série de deux articles sur le programme SCORPION (Synergie du Contact Renforcée par la Polyvalence et l’InfovalorisatiON). Dans ce premier article, nous nous concentrons sur la présentation politique, stratégique et technique du programme : le contexte l’ayant amené comme nécessité, ses objectifs majeurs et échéances prévues, ainsi que les spécificités du nouveau matériel. Le second article développera plus en profondeur ses implications en matière doctrinale.
Le programme SCORPION s’inscrit avant tout dans les conclusions tirées de l’évolution globale du contexte géostratégique ces dernières années. Déjà abordé dans le Livre blanc de 2013, ce glissement dans la nature des conflits s’est encore plus accéléré ces dernières années, tel que constaté dans la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale de 2017. Il concerne à la fois les zones géographiques, les acteurs (alliés comme adversaires) et les technologies, nécessitant donc une réelle prise en compte dans la définition de nos intérêts politiques et stratégiques pour les années et décennies à venir.
Des engagements plus étendus dans l’espace et dans le temps
Du point de vue géographique, la France est désormais sollicitée à toutes les échelles : sur le territoire national (actions terroristes), au niveau continental (réaffirmation de la sphère d’influence Russe dans l’Est de l’Europe, tensions liées à la crise migratoire en Méditerranée), au sein de notre propre sphère d’influence historique (engagement dans la bande sahélo-saharienne, au Proche et au Moyen-Orient), mais également face à l’émergence de tensions internationales plus lointaines (continuation du conflit indo-pakistanais, réaffirmation de la politique militaire chinoise).
Face à cette diversité de situations, nos armées sont d’ores et déjà engagées sur de nombreux théâtres et missions. Mission Sentinelle sur le territoire national, Forces de souveraineté dans les DROM-COM, Forces de présence dans les pays nous ayant sollicité par le biais d’accords bilatéraux, Opérations Extérieures (Barkhane et Chammal), missions maritimes et de dissuasion, missions sous mandat de l’ONU, l’UE et l’OTAN : ce sont ainsi plus de 30 000 militaires français qui sont actuellement déployés à travers le monde. Nous faisons donc face à une élongation inédite, à la fois géographique et temporelle, ce qui met sous tension la chaîne logistique et humaine nécessaire au bon fonctionnement de nos armées.
Carte des déploiements opérationnels des forces armées françaises
Actualisée au 11/12/2019 (Source : État-major des armées, Droits : Ministère des Armées)
Vers un retour de conflits de haute intensité et/ou symétriques ?
S’ajoute à cette élongation inédite de nos forces armées, à la fois géographiquement et dans la durée, une diversification toujours accrue des acteurs et une accélération de la diffusion de technologies autrefois réservées aux États puissances, ainsi qu’une innovation toujours plus rapide offrant de nouvelles possibilités à tous les niveaux d’opération. Si la fin du 20e siècle et le début du 21e ont été principalement marqués par des scénarios de contre-insurrection, l’environnement géostratégique est actuellement en profonde redéfinition.
La prolifération de moyens longtemps réservés à des États de taille importante constitue un de ces enjeux majeurs. Dorénavant, même des États de taille intermédiaire, voire des proto-États (comme Daech à son apogée) ou des groupes liés à la criminalité organisée se retrouvent en possession d’armements susceptibles de ramener les conflits vers des contacts de haute intensité : missiles balistiques, armes chimiques…
Mais au-delà de cette montée en intensité des acteurs de taille intermédiaire, des tensions de plus en plus fortes se développent avec des États fortement militarisés, notamment la Chine et la Russie, ce qui peut laisser craindre une escalade et un retour à des conflits plus symétriques. En parallèle, l’évolution toujours plus rapide d’innovations technologiques dans des domaines comme le cyber ou la biologie témoigne également de cette évolution rapide du contexte géostratégique, et appelle à ne pas « rater le train » si la France souhaite rester en mesure de garantir son autonomie stratégique.
C’est dans ce contexte mouvant que s’inscrit le programme SCORPION : la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 reprend les attendus de sa prédécesseresse de 2014-2019, mais les adapte aux changements survenus entre la parution du Livre blanc de 2013 et celle de la Revue stratégique de 2017.
Attendus capacitaires du programme
Ce programme s’insère plus largement dans ce que le rapport annexé à la LPM 2019-2025 décrit comme « l’Ambition 2030 », effort significatif portant sur le renouvellement et le maintien de nos capacités militaires d’ici à 2030. On peut donc inscrire SCORPION dans une logique d’interopérabilité renforcée (au sein des Groupement Tactiques Inter-Armes - GTIA - mais aussi avec nos alliés), d’agilité sur le terrain (à la fois d’un point de vue géographique et tactique), et de volonté de maintenir un ascendant technologique sur nos adversaires.
Concrètement, le programme s’articule principalement autour de trois axes : un nouveau système d’information et de communication (le Système d’Information de Combat SCORPION – SICS), un renouvellement du parc de véhicules et une généralisation des entraînements par simulation. Il verra également l’accélération du déploiement du système FELIN (Fantassins à Équipements et Liaisons Intégrés).
Alors que ces dernières décennies ont été marquées par la multiplication des modèles différents, tous assez fortement spécialisés, le programme vise à revenir à un nombre plus restreint de véhicules. Ces derniers seront à l’avenir plus flexibles, adaptables à différentes missions et différents terrains d’opération. Enfin, ils seront tous compatibles et totalement intégrés au SICS, afin de permettre une meilleure coordination par le biais de l’info-valorisation.
L’armée de Terre, qui a déjà amorcé récemment la transition des armements personnels (fusil d’assaut HK416F, fusil de précision SCAR-H PR, pistolet automatique Glock) va donc connaître un renouvellement en profondeur. La transition vers SCORPION se concrétise, avec la livraison au mois de juillet 2019 des premiers GRIFFON. Les premiers JAGUAR devraient quant à eux être livrés en 2020 et les premiers SERVAL pour 2022, sous réserve de respect des délais.
D’ici 2025 seront ainsi livrés :
- 122 chars de combat LECLERC rénovés (intégrés au SICS)
- 936 véhicules blindés multi-rôles lourds (VBMR) GRIFFON fabriqués par Nexter, Arquus et Thalès
- 150 engins blindés de reconnaissance et de combat (EBRC) JAGUAR fabriqués par Nexter, Arquus et Thalès
- 489 véhicules blindés multi-rôles légers (VBMR-L) SERVAL fabriqués par Nexter et Texelis
Louis Dubouis
Sources :
Livre blanc de la défense 2013
Loi de programmation militaire 2014-2019, révisée en 2016
Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017
Loi de programmation militaire 2019-2025 + rapport annexe
« Les enjeux de l’infovalorisation : Quels systèmes d’information pour demain ? », CBA Franck DUCHEMIN, CDT Jérôme CHEYPPE, CDT Jean-François CAVERNE, Olivier MON, publié dans Cahiers de la pensée mili-Terre, N°49, 11/01/2018